Tous les matins elle boitait

Auteur : MÉLINDA SCHILGE

L’histoire : Paris, années folles. Jeanne n’est pas une jeune femme comme les autres. Elle aime les automobiles et autres mécaniques du moment, le cinéma, cet art mineur qui perce encore difficilement – alors que son père est peintre. Une fois en âge de se marier, elle s’intéresse peu aux hommes contrairement à ses amies et en vient à se demander si elle saura aimer. De plus, elle vient de se découvrir une famille en Alsace qui parle une langue que l’on pourrait confondre avec de l’allemand, alors que cette région est censée être heureuse de retourner dans le giron français.

Touchée par les violences extrémistes de l’entre-deux-guerres, comment va-t-elle concilier ses balbutiements dans une vie conjugale avec des convictions qui la mettent en porte à faux avec sa famille, et sa mère en particulier ?

Extrait : À toi je peux le dire : je voudrais aimer mes racines françaises et mes coutumes alsaciennes, sans avoir à rejeter tous les Allemands. J’ai la fenêtre grande ouverte et les gouttes tapotent le Suffel en contrebas. Je voudrais qu’elles m’emmènent jusqu’à la ville. Il me semble que les gens d’esprit, ceux de l’université, échappent à ces dilemmes. Leurs idées s’envolent au lieu de s’enterrer dans nos campagnes. Mais qui tiendrait la maison quand ma mère travaille à la poste ? Et surtout comment trouver un bon parti dans un univers où je ne serai qu’une étrangère ?  


Mon avis : Un roman au style narratif oscillant entre « tranche de vie » et « journal intime », l’accent est surtout mis sur des moments particuliers, avec des périodes plus ou moins ellipsées. Le début semble un peu décousu, ensuite les choses s’installent et l’on rentre davantage dans l’histoire. La plume est fluide, plutôt soignée, et laisse la première place aux émotions.
Il existe une forme de mélodie dans les mots (avec quelques phrases assez poétiques), le rythme est un peu berçant sans pour autant être ennuyeux. L’auteure semble s’être bien documentée, j’ai été surprise de voir la politique de l’époque être aussi détaillée sans que cela n’arrête la lecture.
Au final les années de guerre n’occupent pas la plus longue partie du récit, on est surtout dans les évènements d’avant, puis d’après. Le fait de centrer sur une famille permet de rester ancré dans l’histoire. 
La fin m’a laissée un peu détachée. Pour moi, l’histoire s’est terminée au moment où l’on est revenu en 1968. La suite je l’ai ressentie comme une annexe (ce n’est pas péjoratif), j’étais moins impliquée dans l’ambiance.


Cette lecture m’a permis de voir une époque que je connais mal sous un angle différent, avec une plume agréable et un style un peu inhabituel. Ce fut une expérience intéressante, même s’il y a des subtilités qui m’ont sans doute échappé.

La Bibliothèque des coeurs cabossés



Auteur : KATARINA BIVALD

L’histoire : Été 2011, une touriste suède arrive à Broken Wheel dans l’Iowa. Souris de bibliothèque, Sara vient rencontrer Amy avec qui elle a tissé une amitié épistolaire. Cependant rien ne se passe comme prévu, et la voilà coincée pour deux mois dans une ville presque déserte, au milieu des champs de maïs. Rude épreuve pour la jeune femme, habituée à vivre dans ses livres.
Face aux personnages atypiques qui végètent dans la ville, elle est persuadée que la lecture peut changer les choses. Ce qui est sûr c’est qu’elle ne s’attendait pas à certains résultats.

Extrait : Annie May choisit ce moment pour se faufiler à l’intérieur de la boutique. Elle se fraya un chemin jusqu’au comptoir. Les habitants de Hope s’écartèrent gentiment sur le passage de cette vieille dame, ce qui impliqua malheureusement qu’ils se retrouvèrent amassés autour d’elle, tournés vers Sara, lorsqu’elle se pencha en avant et demanda dans un chuchotement que tout le monde entendit :
— Excusez-moi, je voudrais des … romans d’amour.
Elle regarda autour d’elle, se pencha encore davantage et dit tout aussi fort :
— Rien d’indécent, bien sûr.
Puis elle ajouta, pleine d’espoir :
— Avez-vous des Harlequin ?
 


Mon avis : une histoire étrange, qui sent la poussière d’été et celle des bibliothèques. Dans cette ville étouffée par l’ennui, où il ne se passe rien, le personnage principal se décrit lui-même comme transparente et fade. On finit par se demander comment une histoire peut démarrer dans un tel univers. Et pourtant quelque chose s’éveille, quelque chose d’atypique, d’un peu déconcertant et de doux. Une photo jaunie qui reprendrait des couleurs. Je l’ai surtout lue pour l’ambiance plus que pour le scénario, bien qu’on s’attache aux personnages et à leurs blessures cachées.
Une romance en trame de fond, des notes d’humour, et une jeune femme qui disperse des petites éclaircies à travers des livres. Un mélange qui nous donne l’impression d’une histoire entre parenthèses. 

Konbini

Auteur : SAYAKA MURATA

L’histoire : Keiko Furukura ne trouve pas sa place. En décalage avec les autres depuis son enfance, elle finit par travailler dans un konbini (supérette) à 18 ans. Sauf qu’à 36 ans elle y est toujours. Et ça ce n’est pas forcément bien vu par son entourage. L’arrivée de Shiraha dans le konbini vient perturber son univers. Ces deux personnages en marge de la société mettent au point un arrangement pour le moins étrange.
Mais pour paraître « normal » jusqu’où faut-il aller ?

Extrait : Quand j’ai commencé ce petit boulot, j’ai très tôt remarqué que les employés éprouvaient un certain plaisir à se trouver des frustrations communes, qu’il s’agisse des colères du gérant ou de l’absentéisme des collègues de nuit. L’insatisfaction générale fait naître une curieuse solidarité. Tout le monde se réjouit de mon coup de sang.
Ah, j’ai bien joué mon rôle d' »humain », me dis-je en observant les réactions de mes deux camarades.



Mon avis
: un texte vraiment particulier ! J’ai eu le sentiment de rentrer dans une bulle, de partager pendant ces pages l’intimité et les pensées de quelqu’un d’autre. D’avoir un autre regard sur la société à travers une mentalité différente.
C’était un peu déconcertant mais très intéressant. Le fait que l’histoire se passe au Japon est aussi dépaysant, la culture n’est pas la même mais l’on retrouve des traits communs à notre société. La plume est fluide, les personnages principaux intrigants et on est loin de l’idée de la romance entre deux personnes isolées !

Bref une histoire à part que je vous conseille de lire si vous voulez changer de peau pendant quelques pages, ou découvrir un sentier assez atypique.